De la Linea Diamnate de Gio Ponti à la Voiture Minimum de Le Corbusier, de la Dymaxion car de Buckmister Fuller jusqu’à l’emblématique Citroën DS. Le rapport entre automobile et architecture est plus étroit qu’il n’y paraît. Pour en savoir plus, nous avons posé quelques questions à Roberto Giolito, responsable du département Heritage d'Alfa Romeo, Lancia, Fiat et Abarth.
L’architecture est l’un des domaines où le concept de design est le plus utilisé. Le monde automobile et celui de l’architecture sont-ils en relation ? Quelle est votre expérience à ce sujet ?
Depuis toujours, le monde de l’architecture est connu pour être l’un des domaines les plus actifs dans la définition de nouveaux scénarios et dans l’identification de nouveaux environnements urbains et de la vie sociale en général. Prenons par exemple la Dymaxion car, le prototype automobile de l’architecte Buckmister Fuller qui conçut dès 1933 une voiture réelle basée sur le fuselage d’un avion : ce visionnaire américain fut l’un des premiers à proposer l’idée d’une nouvelle organisation du volume de la voiture, avec comme objectif principal celui d’agrandir l’espace de l’habitacle pour permettre une plus grande liberté d’action des occupants. Au-delà de ce projet pionnier et somme toute isolé, les points de contact les plus importants entre l’architecture et l’automobile remontent aux années 70, une époque où les designers automobiles commencèrent à interpeller les experts de la conception architecturale pour comprendre si et comment les voitures pouvaient s’inspirer des principes de l’architecture. On commença à penser concrètement la voiture comme un espace à vivre, bien que sur quatre roues. Le design automobile commença à être entendu comme la recherche des conditions essentielles minimales pour penser à l’habitacle comme à une architecture en mouvement. Ainsi, on saisit l’opportunité de réaliser une voiture en partant des personnes qui l’habitent, comme cela se fait en architecture avec les habitations. Ce n’est pas un hasard si dans les années 70, on donna vie aux premiers départements de conception avancée.
Quel est le rôle des Advanced Design Center ?
Les Advanced Design Center sont justement nés pour créer des scénarios et des prototypes qui modèlent la vision future d’une entreprise et pour donner une plus grande liberté aux concepteurs : dans ce contexte, ils ont la possibilité de travailler sans devoir garantir la faisabilité totale imposée par les standards de production. Voilà pourquoi il a toujours été plus facile de concevoir des créations plus visionnaires dans ces environnements. Ici, lors de la conceptualisation d’un véhicule entier, chaque concepteur peut travailler selon ses compétences. Dans les Advanced Design Center, on n’est pas obligé de lancer la production du véhicule dans le fatidique time to market, le laps de temps (ordinairement trois ans) qui va de l’esquisse (c’est-à-dire du dessin qui montre le concept de la voiture) à la réalisation de la voiture. C’est un secteur où les méthodes de travail et les interconnexions avec le monde extérieur ont tendance à ressembler à celles des studios de conception architecturale. Dans mon cas, au cours des années, j’ai eu beaucoup d’occasions d’échanger et de collaborer avec certains des architectes et des designers les plus célèbres du monde.
Quels sont les architectes qui vous ont accompagné et inspiré au cours de votre carrière ?
Pendant les années où j’étais responsable du premier Advanced Design Center du groupe FIAT (de 2002 à 2006, ndr), il m’est arrivé de rencontrer de nombreuses personnalités du monde du design et de l’architecture, en travaillant dans certains cas sur de véritables méta-projets automobiles. Les rencontres et les échanges avec Rodolfo Bonetto, Isao Hosoe, Richard Sapper, Michele De Lucchi, Mario Bellini et Jean Nouvel furent particulièrement intéressants et utiles, car j’ai eu le privilège de travailler avec eux sur des projets concrets ainsi que la possibilité d’avoir un rapport d’échange réciproque d’approches et de compétences. Pour moi, il fut fondamental d’accueillir le point de vue de ces professionnels qui semblaient être, seulement en apparence, éloignés de l’univers de la mobilité. Ils ont tous confirmé certaines de mes convictions sur le futur des voitures, entendues comme espace à habiter, utilisable et vivable.
Et puis il y a Gio Ponti. Pouvez-vous nous parler de votre expérience avec le projet de la Linea Diamante du grand architecte et designer milanais ?
Gio Ponti a représenté l’apogée de la culture du savoir-faire : chez lui, le produit et l’architecture se complètent de manière visible à travers la maîtrise de l’esthétique et le renouvellement des langages et des éléments de composition. Il y a quelques années, j’ai eu l’opportunité de coordonner un projet complexe, mais plein de surprises et de satisfactions : construire un modèle à l’échelle 1/1 de la Linea Diamante, la berline que Gio Ponti (auteur d’icônes comme le gratte-ciel Pirelli de Milan et le siège 699 Superleggera) conçut en 1952 avec Alberto Rosselli. J’étais tellement impliqué dans l’observation attentive du projet que j’en suis arrivé à m’identifier avec l’intention de ses créateurs de réaliser une voiture pleine d’idées et de solutions innovantes, mais encore pensée pour la production industrielle. Il a fallu du temps pour choisir entre différents documents afin de déchiffrer les esquisses et les études. Pour moi, il fut fondamental de partager mon travail avec une équipe composée de professionnels en mesure de jouer les médiateurs entre les aspects créatifs et ceux liés à la production industrielle. Passer de la simple esquisse d’une voiture à un véhicule aux dimensions réelles fut un travail considérable qui m’a permis d’entrer en contact direct avec un grand esprit de notre passé. C’est aussi cela le sens profond de Heritage, le département que je dirige : il a pour objectif d’étudier, de conserver et de promouvoir les valeurs des modèles historiques afin qu’elles constituent une source d’inspiration pour la conception du futur.
Les années où Gio Ponti élabora ce travail furent des années fébriles : l’Italie sortait de la Seconde Guerre mondiale profondément meurtrie, mais avec une grande envie de renaissance.
Les années 50 furent caractérisées par un optimisme audacieux et une profonde confiance dans le futur. C’est à cette période qu’on commença à mettre en place de nouvelles stratégies de produit visant à définir un nouveau style de vie moderne, loin des atrocités de la Seconde Guerre mondiale. Dans la conception automobile, les Américains avaient déjà commencé à prendre leurs distances avec les formes en torpille et avec la séparation entre le corps et l’aile. Pourtant, dans les années 50, leurs voitures étaient devenues beaucoup plus grandes et lourdes par rapport aux décennies précédentes. En 1955 en France, Citroën préparait le lancement du révolutionnaire modèle DS qui représentait déjà un pas en avant supplémentaire par rapport à l’innovante Traction Avant. C’est dans ces années-là, ouvertes aux nouveaux défis, que Gio Ponti se lança dans ce projet destiné à anticiper certaines des tendances accueillies par d’autres designers seulement vingt ans plus tard.
Selon vous, quelles sont les caractéristiques les plus significatives de ce modèle ?
Je crois que la grande rupture avec la tradition exprimée par la Diamante s’est concentrée sur la fine section du panneau latéral avec des vitres moins inclinées que d’habitude, ce qui a permis au designer d’imaginer une ceinture de caisse très basse, en redimensionnant les proportions des fenêtres de l’horizontal à la verticale. Pour transmettre un sentiment de force et de protection contre les chocs latéraux, Gio Ponti a également éliminé le fameux « épaulement » sur la ligne de caisse. Ainsi, Gio Ponti fut en mesure de donner une valeur esthétique insolite aux lignes des portes et aux autres parties suspendues. Presque comme dans un tableau de Mondrian, l’œil de l’observateur suit les divisions marquées sur les surfaces presque plates par les lignes de composition et peut apprécier les proportions des volumes qui composent la voiture. Le capot de la Diamante présente une forte inclinaison, avantageant la visibilité depuis la place du conducteur. Depuis une arête dorsale qui court le long de la ligne médiane, les deux côtés s’inclinent vers le bas et, chose encore plus importante, la carrosserie du capot est marquée par une ligne périmétrale horizontale qui englobe une petite portion de l’aile. Ains, Gio Ponti créa (du moins sur le papier) l’un des premiers capots « en coquille » de l’histoire, vingt ans avant la FIAT 127 ou la Saab 99 : une révolution importante et drastique par rapport aux standards du secteur.